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Entretien avec Louis Bourgois pour le Blog de l'international

Louis Bourgois est à la fois salarié de l’IFTS, en charge de l’animation du Collectif SOIF de Connaissance (www.collectif-soif.fr) et doctorant au laboratoire PACTE de Grenoble. Son travail de thèse, sous la direction de Philippe Warin, porte sur les politiques sociales à destination des « Roms migrants en France », et particulièrement à Lyon, Grenoble et Saint Etienne.

Louis a bénéficié d’un soutien de l’IFTS, dans le cadre du programme ERASMUS +, pour effectuer une mobilité en Roumanie dans le cadre de ses travaux de recherche. Ainsi il s’est rendu sur place début juillet 2017, d’abord à Bucarest, puis dans les départements de Orsadea et de Satu Mare, dans le nord du pays.

Entretien

Peux-tu nous dire en quelques mots le sujet et l’objectif de ta thèse ?

J’ai commencé ma thèse en janvier 2016, et j’espère la finir fin 2018 ! Je m’intéresse aux parcours de personnes migrantes, majoritairement originaires de Roumanie, qui vivent en bidonville, en squat ou à la rue en France. La majorité d’entre elles sont identifiées comme étant issues de la communauté Rom, et sont nommées « migrants roms » par les acteurs.

Souvent, on parle de ces personnes comme si le bidonville et le squat était leur habitat « naturel », et comme si elles ne désiraient pas une vie meilleure. Or moi dans mon travail je m’intéresse justement aux parcours « positifs », aux personnes qui d’une manière ou d’une autre ont réussi à accéder à un emploi, à un logement, bref à une vie plus digne, même si souvent elle reste précaire.

Comment réalises-tu le travail de recherche, et où ?

Mon principal matériau de recherche est constitué d’entretiens que je réalise auprès de trois catégories de personnes : des personnes migrantes qui vivent ou qui ont vécues en squat ou bidonville ; des « intervenants sociaux » (professionnels, bénévoles) qui travaillent avec ces personnes ; et les décideurs politiques et associatifs qui mettent en place des réponses aux situations vécues sur leur territoire. L’idée est de pouvoir avoir une vision relativement complète des enjeux, de ce qui est mis en place, et de la manière dont les personnes perçoivent les dispositifs et les services, et les utilisent ou non.

Ces entretiens sont complétés par des dispositifs d’observation participante ou non participante sur un ensemble de lieux : réunions d’acteurs, bidonvilles, associations comme Médecins du Monde, comités de pilotage des dispositifs, etc.

Donc ce travail se déroule principalement en France. Pourquoi alors un déplacement en Roumanie ?

Effectivement mon travail se situe principalement en France, car je cherche vraiment à comprendre comment les choses se passent ici, entre les personnes concernées et les diverses personnes avec qui ils sont en contact. Mais bien sûr on ne peut pas comprendre les logiques et les stratégies des personnes si on ne prend pas en compte leurs conditions de vie dans leur pays, les raisons du départ, leurs liens actuels avec leur village ou leur ville d’origine, etc. Au départ, je pensais que ma connaissance de la Roumanie, les entretiens avec les personnes, et les lectures sur le sujet suffiraient pour la thèse.  

Mais j’ai réalisé progressivement qu’il me manquait des éléments importants de compréhension. J’ai donc sauté sur l’occasion quand j’ai appris cette possibilité de mobilité dans le cadre du programme ERASMUS +.

Quels étaient tes objectifs dans ce déplacement en Roumanie ?

Les objectifs étaient liés à deux types de questionnements qui ont émergé lors de ma première année de recherche : Des questionnements sur la pendularité de la migration (allers et retours fréquents au pays) et ses impacts en terme d’accès aux droits en France. Cette question est très présente dans les discours des intervenants sociaux et des décideurs politiques, et ces mouvements sont parfois interprétés comme un trait culturel, parfois comme une stratégie économique. De la part des personnes, elle est plutôt présentée comme une nécessité familiale (assister un parent malade, participer aux évènements importants….). Il semblait donc indispensable, de pouvoir creuser la réalité de ces mouvements migratoires, les formes et les raisons de cette pendularité.

Second volet, celui de l’accès supposé des personnes à certains droits dans le pays d’origine, qui pourrait expliquer certaines formes de non-recours en France. Notamment des aides financières lors du congé maternité. Là encore, je me suis dit qu’il serait intéressant de mieux comprendre les choses, et d’adopter une vision transnationale des parcours individuels ; C’est à dire prendre en compte l’ensemble de la situation des personnes – en France et dans le pays d’origine – afin de comprendre l’ensemble des logiques et des stratégies.

Concrètement, comment s’est déroulé la mobilité ? Où es-tu allé, et qui as-tu rencontré ?

Il s’est agi d’une mobilité assez courte, mais intense, qui s’est déroulée du 10 au 15 juillet 2017. Je me suis d’abord rendu à Bucarest pour des rencontres avec des acteurs publics ou associatifs qui travaillent sur les questions de grande précarité, de migrations, et de politiques sociales en général. Surtout des acteurs roumains, mais également des personnes de l’ambassade de France en charge des sujets de la coopération décentralisée, ou de la protection de l’enfance. Cette première phase d’entretiens m’a permis de me remettre à jour concernant les enjeux nationaux liés à la grande précarité et aux discriminations. Egalement remettre en perspective les relations bilatérales entre la France et la Roumanie sur ces questions. L’un des éléments forts ici est l’actuel ras –le-bol de la population vis à vis du personnel politique, avec des formes de mobilisation qui étaient très peu présentes jusqu’ici, comme les manifestations monstres de février 2017. Certains acteurs rencontrés prédisent de très fortes tensions sociales dans les temps à venir si aucune réforme de fond n’intervient rapidement.

De Bucarest, j’ai ensuite pris le train de nuit pour remonter dans le Nord, dans une ville qui s’appelle Oradea.  12 heures de train « à l’ancienne ». Je conseille l’expérience ! De Oradea, j’ai rayonné pendant 2 jours en voiture de location, dans les villages alentours ainsi que dans le département de Satu Mare, que je connais bien pour y avoir habité il y a 12 ans. J’ai notamment rencontré et beaucoup échangé avec l’équipe d’un projet de développement soutenu par une agglomération française dans le quartier rom d’un village de la région. Egalement rencontré des acteurs associatifs de la région, et été à la rencontre de personnes directement dans certains villages dont je savais que beaucoup d’habitants étaient partis en France, notamment dans la région Rhône-Alpes.

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Bucarest - suites mobilisation de février
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Bucarest - Palais Ceaucescu
 
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Oradea - centre ville
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Wagon de dormit
 

De ces visites et entretiens, que retiens tu concernant la situation économique et sociale des roumains, et en particulier des Roms ?

A ce stade, il s’agit plutôt d’impressions que d’analyse fouillées, mais je dois dire que j’ai été surpris par plusieurs évolutions depuis mon dernier passage dans la région, il y a 7 ou 8 ans : on ressent en effet un certain développement économique dans la région, visible à l’état des routes et des bâtiments publics, aux types de commerces qui se trouvent en ville, mais aussi à la qualité de service de la part des commerçants, hôteliers, restaurateurs, etc. A Oradea notamment, j’ai vraiment senti une forte dynamique, portée aussi par la présence de nombreux étudiants.

Concernant la situation des Roms, minorité qui représente environ 10% de la population, c’est difficile de répondre, car sous ce terme englobant se cachent des situations extrêmement diverses, selon le territoire où les gens vivent, leur groupe familial, leur situation économique, etc. Il faut voir notamment les travaux de Martin Olivera là - dessus. Certes il y a toujours de fortes discriminations – à la fois économiques, spatiales, scolaires, …. – envers cette communauté mais il y a aussi des familles très intégrées. Pour donner un exemple concret : Dans le village de T. où je me suis rendu, il y a un « quartier rom » un peu à l’écart. Mais finalement quand on creuse un peu, on voit que dans une partie du quartier habitent également des roumains non roms, que les maisons sont en bon état, avec eau, électricité, etc , et très connectées au village. Et plus on s’éloigne de la route principale, plus les habitats sont dégradés, et les personnes sont précarisées. Au bout du quartier, les conditions de vie sont extrêmement préoccupantes, et le niveau de dénuement est total. Tout cela pour dire que sur un même « micro-territoire », on peut avoir des situations très différentes, et donc des stratégies des personnes très différentes aussi, notamment en matière de migration.

Justement qu’as-tu appris sur ces phénomènes migratoires, et sur les allers-retours entre la France et la Roumanie que tu évoquais ?

Les entretiens comme les rencontres informelles ont confirmé en partie ce que plusieurs travaux ont mis en avant, à savoir la construction progressive d’une identité « transnationale » chez beaucoup de personnes et les familles en migration. C’est ce que relèvent par exemple des chercheuses comme Alexandra Clavé Mercier, Marion Lièvre, ou Norah Benarrosh-Orsoni, qui ont suivi de manière très fine les parcours de certaines familles. C’est l’idée que les gens construisent leur vie sur deux territoires en même temps, à la fois « ici » et « là-bas ». Je pense ainsi à une personne rencontrée lors de cette visite, qui était présente depuis plus de 5 ans sur le territoire lyonnais, avec des retours très régulier au pays notamment pour faire un agrandissement de sa « maison » (en fait une cabane qui ne disposait que de 2 pièces). A ce stade j’envisage ce type de pratique comme une stratégie de « limitation de l’incertitude » : c’est à dire que les personnes n’ayant aucune confiance dans l’avenir, dans ce qui peut leur arriver, dans la permanence des aides perçues, elles maintiennent constamment « plusieurs fers au feu ». Ceci rejoint certaines pratiques en France ou même quand elles sont relogées en logement « normal » certaines familles continuent de maintenir un lien fort avec le bidonville, voir à garder une « baraque » sur celui-ci, au cas où elles doivent un jour revenir à cette solution de survie.

Aurais-tu une anecdote que tu voudrais partager qui nous donnerait à voir du type de découverte que tu as fait lors de cette mobilité ?

Lorsque j’étais dans le nord du pays, je me suis donc rendu de manière un peu improvisée dans certains villages dont des personnes m’avaient parlé en France, pour me faire une idée concrète des lieux d’origine. Sans le vouloir, je suis arrivé en voiture dans l’un de ces villages par le « quartier rom ». Au bout d’un moment j’ai dû faire une marche arrière, et me suis embouti dans un bloc de béton que je n’avais pas vu. Immédiatement, 2 jeunes sont venus m’aider, vérifier que le réservoir n’avait pas été percé…. On a d’abord parlé en roumain, et au bout d’un moment ils me demandent, vu mon accent, d’où je viens. Dès que je dis que je suis français, ils passent tous les 2 en français, qu’ils maîtrisaient quasiment mieux que le roumain. Les deux vivent dans la région lyonnaise, ils étaient en vacances dans leur famille. Le plus bavard a passé 10 mn à critiquer son pays, et « les Roms qui ne font rien » et qui ont « des routes toutes pourries ». « Moi dès que j’ai 18 ans j’arrête de venir ici ; La France c’est mieux ». On a discuté une bonne heure, rejoins par deux jeunes filles qui se sont présentées en disant qu’elle « venaient du 9.3. ». Ils affichaient tous –parfois avec un peu de provocation - l’intention de rester en France, de trouver un travail là-bas. 

Au-delà de l’aspect un peu hallucinant, ou décalé, de cette scène, ce que j’en retiens c’est l’analyse qu’il faudrait faire de l’aspect « deuxième génération » : il y a en effet une partie de jeunes arrivés enfants en France, qui savent lire et écrire alors que leurs parents sont souvent analphabètes, qui ont fait des études, et qui ont un lien de plus en plus distendu avec leur pays d’origine. Il y a certainement tout un tas de ponts à faire les travaux sur d’autres populations, notamment les enfants et petits - enfants des migrants maghrébins de l’après - guerre. Pour moi qui suis d’un naturel optimiste, nous avons ici des signes forts d’une insertion progressive de personnes longtemps vues comme « ininsérables », et comme ne pouvant connaître de parcours ascendant. C’est bien sur faux, et il me semble important que la recherche puisse objectiver les choses dans ce sens.

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Quartier Rom - village de G.
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Maisons quartier rom - dégradé - village de T.